Un événement insolite a secoué la communauté côtière hier matin, lorsque le voilier de luxe « Léthé », long de 22 mètres, a été découvert échoué sur les hauts-fonds rocheux près de la célèbre falaise d’Aval. Alors que l’équipe de sauvetage s’attendait à une opération de déséchouage classique, l’inventaire du bord a révélé une cargaison pour le moins… surprenante, plongeant les autorités et le public dans un profond mystère.
L’alerte a été donnée aux premières lueurs de l’aube par un pêcheur local, stupéfait de voir le majestueux sloop en aluminium immobile, légèrement incliné, mais apparemment intact. Aucun signe de détresse n’avait été émis. À bord, les secouristes n’ont trouvé âme qui vive. Pas de capitaine, pas d’équipage. Le bateau, immatriculé aux Îles Caïmans, était vide de ses occupants mais plein d’étrangetés.
« Nous sommes entrés dans un décor figé, presque théâtral », confie le commandant Luc Verdier, responsable des opérations de la SNSM. « Le café était encore tiède dans la carafe. Les instruments de navigation fonctionnaient, les voiles étaient soigneusement rangées. Mais il n’y avait personne. Et puis… nous avons commencé à ouvrir les cabines. »
La découverte la plus spectaculaire a été faite dans le salon principal. À la place des traditionnels coussins et tables basses, s’élevait une structure métallique complexe, soigneusement fixée au pont. Il s’agissait d’un atelier d’horloger du XIXe siècle miniature, mais d’une perfection anachronique. Un établi en acajou supportait des outils microscopiques en or et titane, des pignons, des ressorts, et des pièces d’horlogerie d’une finesse inouïe. Au centre trônait une sphère armillaire, un objet céleste, elle-même constituée de minuscules mécanismes d’horlogerie complexes, semblant indiquer non pas l’heure, mais des positions astrales inconnues.
Dans les autres cabines, l’énigme s’est approfondie. L’une était transformée en bibliothèque portative, contenant des centaines de volumes anciens, principalement des traités d’astronomie, de navigation ancienne (dont un incunable de Ptolémée authentifié dans un premier temps) et de philosophie stoïcienne, tous annotés dans une écriture serrée et élégante. Une autre cabine abritait une collection de 47 orchidées rares, maintenues en vie par un système d’arrosage automatique sophistiqué. Aucune trace d’effets personnels modernes : pas de téléphone, d’ordinateur ou de papiers d’identité.
« Le plus troublant, c’est l’absence totale de logique », analyse le commissaire maritime Antoine Morel, chargé de l’enquête. « Nous avons un navire high-tech, sous pavillon de complaisance, transportant le cabinet de curiosités d’un savant de la Renaissance ou d’un esthète excentrique. L’heure du bord était réglée sur celle de Paris, mais le calendrier indiquait le 11 avril 1889. Est-ce un coup médiatique élaboré ? Une opération de contrebande d’œuvres d’art ? Ou quelque chose de plus… personnel ? »
Les recherches sur le propriétaire présumé, un certain « Dr. Alistair Finch » selon le registre maritime, n’ont pour l’instant rien donné. Les services Interpol et Europol ont été saisis.
L’affaire a suscité un engouement médiatique fulgurant. Les réseaux sociaux bruissent de théories : escapade d’un milliardaire philanthrope, performance artistique, voire même scénario relevant du fantastique. Les habitants d’Étretat, habitués aux caprices de la Manche, n’en reviennent pas. « La mer nous ramène souvent des choses, mais jamais une machine à remonter le temps comme celle-là », s’émerveille un vieux marin.
Le « Léthé », dont le nom dans la mythologie grecque évoque le fleuve de l’oubli, a été remorqué jusqu’au port du Havre pour des examens approfondis. Les objets précieux ont été mis sous scellés. Qui était à bord ? Où allaient-ils ? Et surtout, pourquoi avoir abandonné un tel trésor ? Pour l’instant, le silence du bateau fantôme est aussi profond que celui des grands fonds qu’il a évités de justesse. L’enquête, elle, vient de commencer.
